Né le 17 octobre 1943 dans la région de Peel (Pays-Bas)
1960  Commence à peindre
1962  Contact avec les artistes Willi Martinali et Johan Lennarts
1963  Contact avec Chris Brandt
1964  Contact avec les designers Jos Jansen et Arne van Herk
1966  Séjourne pendant 4 mois dans une grotte en Dordogne; après cette expérience il développe une pensée sur l'habitat et le mobilier, jusqu'en 1972/73
1971  Participation à la 7ème Biennale de Paris
1972/73  Son intérêt se déplace de l'utilitaire à la 'création'; à partir de cette époque une nouvelle réflexion se dégage qui aboutira aux machines
1976  Première réalisation d'une grande machine; l'aspect technique joue un rôle important; exposition Meyhuis, Helmond
1978  Des éléments historiques et poétiques s'introduisent dans les machines
1981  Het voorwerpelijke denken' (la pensée figurative), exposition personnelle Van Abbemuseum, Eindhoven
'Beweging', exposition personnelle Provinciaal Museum van Drente, Assen
Exposition de groupe, Maastricht
1982  Participation à la Documenta 7, Kassel (R.F.A.)
1983  Commandes publiques des sculptures pour Tilburg et Amsterdam
1984  Uit de werkplaats' (A partir de l'atelier), exposition personnelle Van Abbem useum, Eindhoven


Décède le 18 novembre 1984.
LA PENSÉE FIGURATIVE
Rudi Fuchs - Préface du catalogue
'Het voorwerpelijke denken 1981'
(La pensée figurative) - Van Abbemuseum


L'art cinétique nous a permis d'apprécier des machines compliquées et insolites (nous avons tous une prédilection pour l'imprévu). Cependant, les constructions de Gerrit van Bakel ne sont pas des machines à proprement parler. La mécanique des machines cinétiques comporte généralement un programme bien défini: le concept artistique de leur 'performance'.
Elles exécutent ce programme selon des règles et des figures bien établies, tels des danseurs. L'exécution, c'est-à-dire la forme, ne répond pas à leur nature; elles constituent donc un vrai spectacle (un singe faisant du vélo, l'intelligence du dressage surprend).

Les constructions de Gerrit van Bakel ne sont donc pas des machines; toutefois nous utiliserons ce terme pour les décrire.
Je serais plutôt tenté de les considérer comme des stations: des moments d'une certaine matérialisation partielle faisant partie d'un processus continu de réflexion. Leur forme, leur structure et leur comportement, sont sans doute moins importants que leur qualité conceptuelle. Par contre, leur existence est importante. Si ces modèles, ces propositions, ces rêves et ces obsessions n'existaient pas sous une forme quelconque, les pensées et l'imagination les créant seraient inutiles et dénuées de sens. Les enfants font parfois preuve d'une merveilleuse imagination pour se rendre d'un endroit à un autre (en traversant les prés d'une vallée): par exemple dans une calèche faite de feuilles bleues et tirée par une douzaine de grenouilles roses. L'image même suffit à l'enfant. Mais la' nature n'est pas un conte de fées et aussi bien le chercheur scientifique que l'artiste doivent faire part de leur mystère sous une forme de probabilité générale. L'artiste n'a rien à prouver, il doit montrer.

Les machines de Gerrit van Bakel sont des modèles d'essai pour son interprétation (sa lecture) très personnelle de la nature.
Il s'agit d'un amalgame de faits et d'observations objectifs, de désirs et de légendes, personnels. Ceci est très caractéristique de la position unique de l'artiste, dont la pensée peut transgresser les limites économiques, sociales et culturelles. L'artiste peut penser librement ce qu'il veut, mais à la différence de l'enfant il doit exprimer sa pensée. C'est pourquoi il fait parfois fonction, dans notre civilisation, de voyant ou même de magicien.
A moins que l'image du vieil alchimiste, qui transforme l'argile en un être humain vivant, la pierre en or ou la boue en énergie, ne soit la meilleure description de Gerrit van Bake!? Quoi qu'il en soit, l'oeuvre de cet artiste est pure poésie.

R.H. Fuchs
UN ENTRETIEN
L'entretien qui suit se déroula en octobre 1980 entre le Dr. Hans Beltman, Physicien et alors Maître de Conférence en Sciences Naturelles à l'Université de Nijmegen, et Gerrit van Bakel, dans l'atelier de l'artiste.
Il fut publié dans le catalogue du Van Abbemuseum 'Gerrit van Bakel: Het voorwerpelijke denken, 1981'.
Les extraits de cet entretien sélectionnés ici pour leur rapport avec l'exposition du Centre National d'Art Contemporain de Grenoble (1987,conception et realisation Franz Kaiser) donnent une idée de la manière de penser et de travailler de Gerrit van Bakel.

Tu es surtout intrigué par un moment très particulier de l'activité humaine: un moment précédant la naissance de l'homme. Dès son apparition et le début de son évolution, ce moment devient moins individuel. Mais, c'est précisément ce moment avant la naissance, avant la formalisation, qui t'intéresse.
Je pense qu'il doit y avoir un élément de pureté ou de réelle harmonie dans tout cela. J'éprouve encore un autre besoin que celui de pureté: c'est celui d'indiquer tout ce qui existe en ce qui concerne les activités et les acquisitions humaines et qui, pour tout individu, a pour origine la même source. C'est-à-dire qu'en réalité la science et la poésie puisent à la même source.
Par sciences, je n'entends pas les techniques mathématiques, mais plutôt les chercheurs utilisant celles-ci comme outil pour définir une chose et ensuite en tirer une conclusion.

A ton avis, la source dont s'inspirait Héron serait donc la même que celle utilisée par Albinoni?
Et à laquelle je puise moi-même

Il y a quelque chose que je ne comprends pas: tu t'intéresses à cette phase d'activités humaines, mais pourquoi construis-tu ces machines?
Je pourrais fournir l'explication suivante de l'évolution ...

D'après ce que je comprends, les activités humaines couvrant 2000 ans sont concentrées dans un objet. Tu utilises du gaz qui a 100.000 ans, le principe d'Héron tel que l'homme Héron l'a découvert il y a 2000 ans et du fer découvert il y a 4000 ans. Puis, tu fais un bond énorme jusqu'à notre siècle: le perspex a été mis au point au vingtième siècle et le laser est découvert depuis vingt ans seulement.
En 1963 plus exactement.

Je vois des bouts de glace et des vis.
Des vis interchangeables. C'était une découverte de 1862.

La musique d'Albinoni a trois siècles.
Je me suis servi d'un magnétophone, d'un amplificateur et de leurs principes. Je préfère d'ailleurs un Karlson box plutôt qu'un Philips, mais surtout des microsillons tordus exponentiellement. Mais je n'ai pas encore réalisé cette machine ...
Chez l'autre, on voyait seulement un seul tuyau d'orgue. Un résumé, en même temps qu'une création: un montage, une machine parfaitement fonctionnelle, pas stylée et sans décorations. Elle est ce qu'elle est. Elle procède de pièces dont je disposais ou que je pouvais me procurer sans difficulté ...
Ce qui m'a conduit à tout cela? Le laser. J'avais bien lu des articles sur le laser, mais sans en réaliser l'énorme portée. Un beau jour, je me trouvais à Londres pour visiter des expositions. A mon retour, je voulais absolument posséder un laser. Je l'ai immédiatement acheté pour mille florins. Il se trouvait à côté de mon lit: un fil de lumière tendu, produisant une vibration et une réflexion que j'ignorais totalement. L'oeil humain n'a jamais perçu cette lumière pour la simple raison qu'elle n'existe pas dans l'univers. Nous n'avons pas ce genre de lumière cohérente; nous ne connaissons que la lumière du soleil. Tout existe, sauf le rayon laser: c'est peut-être bien la première chose que l'homme a vraiment créée lui-même. Il n'y a que très peu de choses qui n'ont pas leur semblable dans la nature, mais la nature ne fournit aucun exemple de laser.
Le rayon laser est quelque chose de divin, pourrait-on dire, à moins que cela ne te semble par trop mystique?

Tu pourrais peut-être utiliser le mot 'humain' à la place de divin?
D'accord, mais en lettres capitales, alors.
Ce laser se trouvait donc à côté de mon lit et, en même temps, je lisais des bouquins dont je ne comprenais que la moitié: sur le laser, les rayons, la cohérence ... j'appris également qu'un laser au néon-hélium possède un rayon résiduel qui se trouve dans la frange bleue du spectre et qui représente environ 1/1000 du rayon rouge. Ce rayon résiduel se propage le long du rayon laser, ce qu'on peut d'ailleurs observer lorsqu'on arrête le rayon laser. Celui-ci donne un reflet bleuâtre. Je regardais donc ce rayon indirectement, car je savais qu'il était dangereux de le regarder directement. Je frôlais donc le danger de près, me laissant effleurer par ce rayon bleu, en partant de l'idée que le bleu est une couleur spirituelle.
... Cela m'a donné des rêves qui revenaient régulièrement. Après avoir regardé le rayon selon un rituel bien précis, je rêvais d'objets non existants: une sorte d'autohypnose dans le rêve.

Un jeu dangereux! Cela aurait pu te coûter la vue. Tu avais donc des rêves extraordinaires sur des choses n'existant pas encore.
Je voyais des tas de choses ... Je ne voyais pas cette machine, mais plutôt une plaque qui bougeait. Une grande plaque, haute comme un homme; en contreplaqué, je crois bien. Elle vibrait et en bas de cette plaque je voyais le mécanisme, une sorte de moteur réduit au minimum. Ce n'est qu'un de mes rêves, le no 4 - car il y en a d'autres - et c'est le rêve no 4 que j'ai développé. La plaque est devenue une sorte de tube: d'abord c'était une plaque ressemblant à un piano, puis elle prenait la forme d'une corne pour finir en un tuyau d'orgue carré de 8 mètres ...
Le métier naît de la redécouverte de l'impulsion, de l'image, du retour aux relations, de la co•ncidence des éléments, créant en quelque sorte, une idée. L'idée et le métier procèdent de la manière de retrouver cette idée. L'apparence de l'art n'est pas l'art même. La forme de l'art est la porte par laquelle l'art est observé: une sorte d'accessoire, en somme. L'art se situe derrière cette porte, tel une idée ou un idéal. Si je montre bien le chemin du retour, cela signifie que, si mon travail est bien fait, une porte doit s'ouvrir à l'intérieur de toi, en tant que spectateur.
Cette porte existe déjà et peut-être l'a-t-on déjà ouverte avant; aucune importance que je l'ouvre de nouveau ou même que j'ouvre une porte qui n'a encore jamais été ouverte.

Un beau jour, tu t'es attaqué à ce tuyau d'orgue.
Est-ce que cela signifie que, pour toi, l'art sert à tenter de remonter à la source de tes activités? Autrement dit, est-ce qu'il t'a fallu attendre pour comprendre que cette source n'était pas tarie?

Non, ce n'est pas ça, c'est bien plus compliqué. j'habite le temps que j'habite, je n'y peux rien. j'ai ma vie, mes envies, mes impulsions ... L'art s'ouvre à moi pour que j'agisse. Ce que je fais, c'est de l'art. En même temps, il existe une définition de l'art dans ce monde. Bien sûr, celle-ci est soumise à des fluctuations propres aux personnes qui s'y intéressent. Mais la définition existe quand-même. Il y a cependant une certaine tension entre ce que je voudrais et cette définition de l'art. Je suis devenu conscient que pour moi, l'art est la forme idéale pour exprimer mes pensées, pour montrer une image. Mais je me suis aperçu aussi que la forme de l'art m'impose des limites. Il s'agit pour moi de pouvoir expliquer que la voie que j'ai choisie représente aussi l'objectif que je veux atteindre. La source de mon travail est en dehors de ma volonté. Cette source attire les choses telle un aimant. L'évolution vers cette machine et la machine elle-même doivent se superposer. Le moyen et l'objectif doivent co•ncider. Dès que j'ai vu quelque chose, je suis poussé dans une certaine direction et une fois celle-ci prise, je me plie à cette condition qui me dicte de la suivre. C'est un véritable va-et-vient. Ce que je viens de dire est, en réalité, le début d'un manque de communication entre l'art et les autres êtres humains. A cause de cette coupure, l'art s'est spécialisé en se réduisant de plus en plus. Ma façon de vivre résulte d'une attitude vis à vis du monde, dont je veux témoigner, car je pense que cette attitude est harmonieuse. Une harmonie qui n'existe pas à l'heure actuelle; ou bien elle est la réponse aux tensions éprouvées par l'homme, pour vivre avec des objets qui l'entourent inévitablement. L'harmonie est la base essentielle de mon histoire.

Harmonie est une notion bien difficile, je trouve. Une chose est en harmonie avec une autre ... En utilisant le mot harmonie, tu dois penser à plusieurs choses à la fois? Auxquelles, et où se situe cette harmonie?
Je veux dire l'harmonie entre les hommes et leurs machines. Je ne prétends pas pouvoir changer le monde de l'automobile.
Je ne peux pas intervenir dans la pratique. j'essaie de découvrir le moment de la naissance d'un objet et je crois que ce moment est proche de l'art. C'est le moment où les choses se résument, où elles sont de nouveau formulées, où les images et les pensées sont créées et où se forment les possibilités d'identification.
‚a commence par l'art. Il s'agit d'histoire de l'art, mais nous sommes obligés de constater que c'est une bonne voie.
Le comble serait une sorte de recréation du monde.
Tiré de notre série des livres difficiles
livre V: Etymologie, 1968/75
différents types de bois
18 x 22,5 x 22,5 cm
Y compris les lignes de production et de consommation, en quelque sorte?
C'est effectivement ce que j'ai voulu faire autrefois, dans la période d'il y a environ 8 à 15 ans: des projets de meubles, d'urbanisation, de navires, de maisons, de cuillères et même de jouets, de sacs à dos et de tentes. Mais ce n'était pas la bonne voie, ce fut un échec. Mes projets de meubles sont une chose à part. Je ne suis pas industriel, je n'ai ni les possibilités, ni les moyens financiers pour décider: à partir d'aujourd'hui nous ne fabriquerons plus 1000 différents modèles de chaises, mais seulement une seule machine à s'asseoir, de sorte que le fait de s'asseoir ne sera plus un symbole d'un rang social, mais deviendra un accessoire pour échanger des idées et communiquer ...

Tu penses donc qu'il n'existe qu'une seule chaise: la chaise idéale?
La réponse la plus simple est: oui. A mon avis, le monde des objets et chaque objet qui nous entoure sont, en fait, un palier dans l'évolution conduisant à l'apparence finale de cet objet, de même qu'un arbre adulte produit de la chlorophylle (la transformation de l'énergie solaire en bois). Une arbre est précédé d'un certain nombre de formes préliminaires dont nous ne connaissons que quelques-unes, notamment la prêle (les équisétinées). L'arbre est une définition de la transformation de l'énergie solaire en matière, en dynamique. La technique fait partie de la nature, du soleil. L'homme sert à définir le soleil. Nous savons cela. Mais je ne peux pas regarder plus loin que le soleil ...

J'aimerais trouver une interprétation pour ces couvercles.
Les trois premiers sont des réductions de la lettre B.
Aucune importance que le spectateur s'en aperçoive, du moment que je la sais moi-même. C'est d'ailleurs la même chose dans un livre: si, à la première page, on ne regarde la lettre B que pour en saisir la forme en tant que forme, ou qu'on cherche la signification et son histoire, on n'avance pas vite. Ne parlons pas de la qualité du papier.
Je suppose donc une certaine évidence expressive et matérielle, alors que j'ai moi-même observé pendant des semaines, tous les jours, la lettre G. Et je n'ai pas encore réussi à appréhender l'essentiel, pas plus que quelqu'un d'une toute autre civilisation, un papou, par exemple, qui aurait observé la lettre G. Je ne crée donc pas plus que le titre et l'objet.
La mécanique, voilà un autre titre dans la collection, Notre série de livres difficiles. Imagine-toi une machine sur une pente, elle commence à avancer. C'est très simple, ce que tu vois là, mais ce qui se passe est très compliqué. Tellement compliqué que la science de la mécanique n'a pas encore réussi à tout expliquer. La réalisation en est donc extrêmement délicate. Nous voilà de nouveau confrontés au problème de l'harmonie.
De nouveau la pensée de l'agriculteur.
Cette pédanterie! Car cet objet est en contreplaqué. Imagine- toi qu'un ajusteur commande cette machine en métal: ça marcherait avec beaucoup plus de précision et ça coûterait un peu plus cher, mais avec plus de chance d'un meilleur fonctionnement. Mais, je tiens absolument à réaliser cette image et ces formes en contreplaqué et non pas en aluminium, en acier ou en perspex. Non: j'ai décidé que ce serait du contreplaqué. Ainsi, je deviens conscient d'une partie de ce contreplaqué et du fonctionnement de l'axe. Je deviens, en quelque sorte, conscient de ce matériau: une affinité naît qui n'existerait jamais si je ne me limitais pas. Cette limitation me fournit de l'information sur ce matériau, de la même façon qu'un fermier se procure de l'information tout en travaillant: en creusant, avec sa charrue, des centaines de sillons dans son champ. Au cours des années, il apprend toutes sortes de choses sur ses terres, une information qu'il est incapable d'exprimer. C'est cela, être fermier: avoir des pensées néolithiques.
J'ai déjà réalisé sept machines dans ce genre. Chaque fois que je reçois la visite de quelqu'un qui s'y connaît, il me dit: 'Il faut prendre du fer, mon vieux'. Et je n'arrive que rarement à faire comprendre à mon visiteur que je dois me servir de contreplaqué et non pas de fer, même s'il y a des roulements, il y en a d'ailleurs.

Ces jambes bougent-elles grâce à des oscillateurs?
Oui, je trouve ça formidable, fantastique. C'est la plus belle chose qui existe. C'est l'une de mes trouvailles et c'est tout à fait gratuit. Voilà un bon exemple et c'est bien parce que j'ai continué à me servir de contreplaqué. Dans l'art, il s'agit d'objets, de formes, et une forme doit transmettre un message indiquant la voie choisie pour parvenir à cette forme. La forme doit contenir tout cela. Dès lors qu'on ne montre que le but, on est en train d'opérer une réduction et dès qu'on ne montre que le processus, on fait du théâtre. Moi, je veux montrer les deux à la fois: la forme mais aussi la voie pour l'atteindre et cela signifie que les croquis ont autant d'importance que les machines et que tous les autres objets, et qu'il existe une interaction dans tout cela.
Je veux y arriver en une seule fois, vlan mais ça ne marche pas, car il faut des spectateurs qui, chacun à leur tour, doivent apprendre ce que je fais, s'enthousiasmer ou partager mon enthousiasme pour les machines que j'ai réalisées.
Si mon attitude, mes efforts d'harmonie avec le sujet, sont corrects ou honnêtes, et ont la force requise, ils produisent le même effet sur les spectateurs. Evidemment, ce n'est pas la méthode la plus efficace pour communiquer ses sentiments et ses idées, mais sûrement la meilleure pour les exprimer. Quoique -- et c'est l'inconvénient de mon oeuvre -- mon explication soit indispensable. Sur ce point, je ne suis pas un vrai artiste.
Pas dans le sens classique, tout au moins, comme celui qui n'exprime que l'image et l'émotion. Je pars du principe que le spectateur réfléchit également. S'il réfléchit, je n'ai plus rien à ajouter. Il s'en sortira bien lui-même. Il ne se trompera que très rarement, car mon oeuvre ne poursuit pas un seul but.Je ne m'occupe pas seulement de 'chaleur = mouvement', etc. ...
La chaleur et le mouvement m'ont toujours beaucoup préoccupé, parce que ce sont des sujets difficiles. Je ne veux pas me spécialiser. Cela doit apparaître nettement dans mes autres oeuvres, bien qu'elles ne soient pas très accessibles. ‚a veut dire que je dois expliquer les livres l, II, III, etc. ... l'image que j'en fais. A l'origine, cette exposition ne devait montrer que des livres, mais j'ai également réalisé des oeuvres qui sortent de cette catégorie ... il n'y a donc rien à faire. N'y figurent ainsi que les livres V, VII, 1 et II.
Mon attitude vis-à-vis de l'art est un peu rigide et obstinée. Je prétends et j'exige que la technique soit plus importante pour l'art que la poésie de l'artiste, car dans l'art, la poésie est toujours surévaluée; le syndrome de l'Oreille Coupée détermine l'apparence des choses. A mon avis, la qualité du jaune dépend de ce que je peux voir maintenant, ainsi que du produit liant, des poils du fourreau de mon pinceau. Mes idées sur l'art sont mécaniques et éventuellement poétiques car, au fond, il s'agit bien de machines. A mon avis, quelqu'un qui travaille avec ses sentiments et qui fait de la poésie ressemble à un géomètre.
Le géomètre définit l'endroit où l'on se trouve. Sans géomètre, nous ne le saurions pas. Evidemment, cette définition du géomètre est tout à fait imaginaire et nous le savons bien. Cela se révèle toujours exact. Il est, par exemple, très important que les Français, lorsqu'ils eurent modifié leur calendrier et qu'ils se trouvèrent en Germinal de l'An Il, aient également instauré une équivalence entre les mètres, les kilos et les litres.
Ils découvrirent le système métrique et choisirent le système décimal comme méthode d'arithmétique; ils divisèrent la terre non pas en 100 millions - la circonférence -- mais en 40 millions, s'écartant ainsi du système décimal. Je trouve ça vraiment caractéristique, car je n'ai pas encore calculé la distance s'ils avaient adopté la division par 100 millions. Je suppose que l'unité de longueur aurait alors été le pied ou l'aune, mais c'était des unités de mesure interdites à l'époque. Les mesures sont des unités naturelles définissant une forme, et non pas des notions définitives. Ces définitions sont arbitraires, on ne peut pas les abandonner à la légère.

Les hommes qui ont recours à la technique servent-ils, au fond, le progrès?
Oui, et aussi le soleil et le mouvement. L'objectif et la voie forment un tout. Reste encore le problème du temps.

N'est-ce pas la même chose que ce qui se passe avec le germe à l'intérieur du grain?
Exactement.

Ce germe n'est pas encore plante ou arbre, mais représente déjà tout cela.
Prenons le temps, par example. Il m'est impossible de faire abstraction du système solaire ou de l'univers. Je sais bien que le soleil contient de l'énergie et que celle-ci s'en est dégagée et a touché la terre, lui communiquant la vie, alors que le soleil et la lune ensemble, régissent les conditions. C'est un processus très important, je ne sais pas l'expliquer, je ne peux qu'approcher la vérité. Je peux encore m'imaginer comment un petit groupe de molécules peut devenir un oeil parce qu'il est soumis en permanence aux rayons du soleil venant de la même direction. Ce que je ne saisis pas, c'est que ces molécules sont activées par un entraînement bien précis. Je ne peux que constater que moi aussi, je subis cette même action, que je marche et que je pense dans ce monde ... Ce monde que chacun considère comme tout à fait évident, est pour moi une sorte d'asile de fous. Il s'y passe les choses les plus étranges sous les prétextes les plus extraordinaires. Il faut bien vivre avec, car nous en faisons partie. Nous vivons et nous voulons progresser. La constatation de la volonté de vivre, ou de la volonté de créer quelque chose, sert l'objectif de la réalisation ... Je n'ai pas trouvé la réponse: quoique je dise, je n'arrive pas à formuler ma pensée. Mais je crois que tout commence par l'existence de l'énergie. j'ai parfois l'impression que je suis vraiment un genre de magicien à la recherche du secret de la vie et que j'aimerais me pencher sur les problèmes que je n'arrive pas à résoudre. j'y passe des heures, tout simplement dans mon quartier et au milieu de mes objets appartenant au quotidien.
MACHINE DE BERLIN
Machine de Berlin, 1978/80
Fer, laiton
44 x 69 x 45 cm


Le fonctionnement de la machine de Berlin se fonde sur la différence de dilatation entre le laiton et le fer sous l'int1uence de la chaleur et du froid. Elle n'est active que la nuit quand le rétrécissement du fil de laiton est plus important que celui du noyau de fer sur lequel il est enroulé. Cette différence est transmise sur la roue de commande par un mécanisme.
MOYEN POUR UNE RENCONTRE D'EUROPE OCCIDENTALE

Moyen pour une rencontre d'Europe occidentale, 1979/80
contreplaqué, caoutchouc, cuivre, nylon
169,8 x 169,8 x 61 cm
Mais cette frontière peut également être la frontière allemande.
Les oiseaux hollandais et les oiseaux allemands s'en soucient fort peu. Mais pas l'homme, au contraire. Une rencontre abolit également les frontières. Disons que l'homme crée un territoire qui l'entoure, mais ce territoire se trouve également dans son imagination, ainsi que dans sa conscience, du fait qu'il le sait et qu'il existe. Un cône de conscience dans son ensemble, qui change sans arrêt de forme, chaque jour et à chaque instant.
‚a vibre, en quelque sorte (tel une amibe): ça grandit, ça diminue plus grand ... très petit ... pointu ... ça monte et ça descend ça se concentre, ça se transforme, ça reçoit et ça pousse ... et cette rencontre est une pulsation venant de toi et de moi, qui se transforme en interaction éternelle. C'est cela une rencontre ... Ce dessin-là est réalisé pour Aide à la rencontre de l'Europe Occidentale; c'est la forme de la distance qui existe dans notre civilisation. Impossible de se rencontrer directement. C'est peut-être inévitable, je n'en sais rien, mais à mon avis ce n'est pas bon.Je trouve que les êtres humains devraient se rencontrer le moins souvent possible.

Qu'ils doivent se rencontrer le moins souvent possible?
Oui, le moins souvent possible. L'homme doit pouvoir rester seul avec lui-même. Cela l'aiderait à savoir ce qui va se passer. La plupart des individus ne sont jamais seuls; toujours entourés par d'autres personnes ou bien ils s'occupent des autres, d'assurances, etc. ... Ils ne dépendent pas d'eux-mêmes.
Car, comme le dit Céline: ' ... et les hommes doivent alors dépendre d'eux-mêmes, c'est-à-dire de rien.'
Il y a aussi ma rencontre avec le contreplaqué. C'est, en fait, une machine à faire l'amour, mais ce sont des choses qui ne se disent pas. C'est quand-même une rencontre. Ces plaques sont entièrement attachées ensemble au moyen de petits élastiques, de milliers de petits élastiques. On peut regarder cette machine, mais on peut également s'en servir, ce que personne ne fait jamais, bien sûr. Alors que l'étreinte de la rencontre des Européens occidentaux sert couramment.
LA ROUE D'ÉTÉ
La roue est, en réalité, le précurseur de la Tarim machine et de l'Utah machine. C'est-à-dire le projet initial pour l'entraînement d'une roue à l'aide d'huile.

Quant à la roue, cela s'est passé plus tard, comme pour les autres projets de la roue. Il s'agit d'un système qui provoque la dilatation de l'huile sous l'influence du soleil ou des conditions atmosphériques et qui, à l'aide d'une mécanique à cliquet, se transforme en moteur et en mouvement. Mais cette machine ne pouvait voir le jour, car je n'arrivais pas à terminer le moteur. Maintenant, j'ai le moteur.

Ces piliers servent à équilibrer, en même temps que de réservoirs pour liquides, mais ça ne se voit pas; et ces ressorts sont dérivés de la Tarim machine. Celle-ci entièrement suspendue pour le cas où elle tomberait. Ici, c'est plus formel que fonctionnel. Ces ressorts provoquent une sorte de tension, de retenue, une direction vers le moyeu, comme une roue; ce n'est donc pas tout à fait fonctionnel. Je suis même monté dessus et me suis mis à marcher, comme sur un tonneau, et ces ressorts fonctionnent alors très bien. Le phénomène de la roue possède de nombreux aspects, cela aussi est un petit miracle à différents points de vue, et en tant que tel, elle a des caractéristiques très variées.

U ne des caractéristiques de la roue moderne est que le poids non suspendu doit être le plus petit possible; c'est-à-dire que, si l'on monte le ressort immédiatement derrière le pneu, le poids non suspendu est minimal. Et ce qui m'amuse, c'est que, dans le cas d'une roue tournant si lentement qu'au fond elle n'a plus besoin de suspension, le poids non suspendu se situe dans la roue.
Ces ressorts son évidemment une simplification de fabrication. Elle fonctionnerait aussi bien si les dimensions étaient moins précises. Le ressort règlerait alors la tension. J'ai réalisé un détail dont je suis tombé amoureux et c'est pourquoi je n'arrive pas à terminer la machine.

Mais le plus extraordinaire, ça s'est passé l'année dernière. Je me lève très tôt le matin et je travaille sans interruption de 9 heures du matin jusqu'à 11 heures du soir, tout en faisant périodiquement une photo. Et à 11 heures du soir je termine la machine. Je me couche, complètement épuisé et le lendemain, au réveil, le soleil éclaire mon oeuvre: fantastique! C'est une des raisons pour lesquelles je crée des machines: afin de les voir moi-même, car je suis curieux de voir ce que j'ai inventé. Je suis parfois très motivé pour créer une machine, mais j'aime beaucoup moins le travail de la réalisation proprement dit.
La roue d'été, 1982/83
fer, huile
216 x420 x 720 cm
On peut toujours faire exécuter certains détails en sous-traitance, mais ce qui a été fait par l'artiste lui-même a été en contact avec le créateur, et dans certains cas c'est très important. Souvent les machines paraissent plus grandes à l'intérieur et font plus d'effet que lorsqu'elles se trouvent à l'extérieur. Dans le cas de cette roue, c'est exactement le contraire. Plus la machine se trouve exposée dehors, dans un paysage, plus elle paraît majestueuse. Elle possède une forte puissance visuelle qui n'est pas tout à fait la mienne, car une roue est une roue, après tout.
UTAH-TARIM CONNECTION
Voilà une histoire amusante: l'Utah-Tarim connection. Celle-ci est composée de deux machines. Seule la partie Utah est terminée: cette roue en fer. Il va y en avoir une autre, mais je ne la fabrique pas encore. L'Utah machine devra se poser sur une surface de se!, à côté de cette raquette sur trois roues qui a battu le record du monde de vitesse sur terre: une vitesse supersonique.

Ma machine n'avance que de 18 mm par jour.Je vois cela comme un fait divers dans un quotidien: c'est l'essentiel, c'est ce qui compte. Il faut que ce soit une photo avec, au premier plan, ma machine et au deuxième plan, le chasseur de vitesse, accompagné d'une légende en bas. La Tarim machine aura une autre forme. Le bassin Tarim se situe au nord du Tibet et couvre environ la même superficie que l'Europe: personne ne sait où il se trouve. Cette région s'étend sur plus de 1100 kilomètres que la raquette peut donc survoler en une heure, alors que la machine aura besoin de plus de trente millions d'années. Imagine-toi que le bassin Tarim reste vierge et que ce grand-père dise à son petit-fils: regarde la machine qui arrive. Il faudra avertir à ton tour ton petit-fils pour qu'il construise sa cabane un peu plus à gauche, sinon la machine passera dessus.

Takl-Makan = celui qui entre ne reviendra plus jamais.

En 36 millions d'années la machine doit parcourir une distance d'environ 1060 Km.
C'est la distance du record mondial de vitesse à l'heure sur terre (Blue Flame) Utah.

Tous les 50 ou 100 ans, la technique de la machine pourra être adaptée aux possibilités de l'époque.
Le matériau peut également être modifié:
actuellement en fer, inox, laiton,
or titane, iridium, fibre de carbone.

Plusieurs de ces matériaux sont déjà disponibles aujourd'hui La machine devra être entretenue et protégée par une tribu spécialement composée de membres des peuples suivants:
Kazakhs, Kirghiz, Salars, Tartars, Uigurs, Ouzbeks et Yughurs afin d'y associer le plus grand nombre de gènes.
La machine d'Utah appartenant à la relation Utah-Tarim, 1980
fer, caoutchouc, pétrole
81 x 81 x 66 cm
La machine de Tarim qui fait la relation Utah-Tarim, 1979/82
fer, huile
130 x 130 x 720 cm
L' Utah-Tarim connection ou: un crochet vers la liberté
  1. Utah machine: plusieurs jours à 18 mm
    Tarim machine: distance totale entre Kashi et Anxi: ± 1.200 km
  2. Publications sur les deux machines suivant schéma.
  3. La connection sera terminée lorsque:
    a) les machines seront construites
    b) l'information aura été envoyée dans le monde entier
    c) le trajet de la Tarim machine sera entièrement parcouru.
  4. Au cours de sa durée de vie la Tarim machine pourra être modifiée ou remplacée.
  • Record mondial de vitesse dans le désert salé d'U tah Blue Flame
  • Utah machine à entraînement par énergie solaire, diamètre de la roue 81 cm. Poids 108 kg
    Cont. 22/7 x 37,5 x 37,5 x 0,75 = 33.147 cm3
    Dilatation: 33.147 x 3 x 0,0005 49 cm3
    Huile 99 cm3
    1) 9 mm
    2) 18 mm pression environ 2 atm.
La Tarim machine

Le chassis en tubes se compose de 8 tubes de 3 m de longueur et d'un diamètre de 15,3 cm:
huile 22/7 x 7.15 x 7.15 x 300 cm = 48.181 cm3

dilatation par tube: 48.181 x 40ˇC x 0.0009 -> 1.734 cm3

La pression sur la membrane = 1 denture = 10,2 cm est donc très forte.
Equipée de 4 moteurs: 2 qui poussent et 2 qui tractent.
Par un mouvement de bascule, les 4 autres moteurs se mettent en marche!
Vue de la machine, la direction de marche reste identique. Toutes les pièces détachées principales sont démontables pour faciliter l'entretien ou pour être remplacées.
HUILE I
Arrangement expérimental, Huile 1, 1984
fer, p.v.c., sapin, ramin, acajou, laiton, thermomètres
280 à 360 x 204 x 69 cm

Il y aura encore une sorte de produit final de ces machines à dilatation fonctionnant au moyen d'un liquide. Je veux avoir un maximum de certitude et c'est pourquoi j'ai réalisé deux montages qui sont, en fait, des travaux de recherche, des essais. En voici un. Lorsqu'il s'élèvera à 1 mètre, il contiendra 314 cm3, 3,14 litres, 3,14 étant pi*. ‚a ne veut rien dire, mais ça m'intéresse de créer une forme qui évolue vers pi:. Ce qui compte surtout c'est qu'il reçoive juste la quantité d'huile nécessaire pour faire descendre la machine le jour et la faire remonter la nuit. C'est tout ce que je veux savoir. Cette machine est donc remplie d'huile et j'y ai également monté des thermomètres. Ainsi, je peux modifier le point de gravité pour la faire tourner plus facilement. Ici je peux lire combien de cm3 en sont sortis et également combien de dm3 d'huile il reste encore. A l'aide d'un contrepoids je peux également peser la quantité de grammes que cela représente par jour; il s'agit donc d'un appareil de mesure. La dilatation fait monter l'huile, l'ensemble devient donc plus lourd de ce côté-ci et le tube descend.
C'est exactement la même huile. Il s'agit aussi d'une référence, quand on réfléchit bien. On commence par un équilibre d'un contenu bien précis, qui se transforme ensuite en un autre équilibre d'un autre contenu, alors que le nombre de molécules d'huile reste identique: c'est un miracle. Mais cela ne se révèle qu'au spectateur attentif, qui s'y intéresse vraiment, celui qui veut bien me suivre. C'est toujours la même chose: celui qui me suit, crée lui-même quelque chose. ‚a ne détonne pas, mais ça existe bel et bien; parfois ça n'existe pas, mais ça ne pétarade pas alors. La voilà donc, ma machine. Ce qui est amusant, c'est qu'elle est aussi devenue très belle. On dirait un modèle d'essai et parfois ça ressemble aussi à un petit animal. J'ai été heureux quand je l'ai terminée, j'y sens une affinité.

* pi, la lettre p en grec, le nombre incommensurable exprimant le rapport entre le diamètre et la circonférence d'une cercle.
HUILE II
Arrangement expérimental, Huile Il, 1984
fer, plastique, sapin, thermomètres, huile
207 x 72 x 63 cm


Voici une machine qui n'est qu'un essai. Ce n'est même plus une forme. Il s'agit seulement de faire un montage de façon à voir si, lorsque ce soleil vient de ce côté, comme ça, la différence de la dilatation entre le contenu de ce tube-ci et celui-là est suffisante pour être mesurée. Voilà, c'est tout. Mais je dois connaître tout cela pour bien terminer la grande roue. Ainsi ce montage a quand même une forme.
LA LONGUE VUE DE L'ÉTOILE DU NORD
La longue vue de l'Étoile du Nord, 1983
bois, fer, câble acier
122 x 600 x 105 cm


Voici la lunette astronomique pour observer l'Étoile du Nord, en étroite relation avec celle dirigée vers la constellation des Perséides. Pendant mon travail sur le Sismographe, je m'occupe inévitablement des vibrations du mouvement terrestre. Mais la terre tourne aussi autour de son axe. A l'aide d'un sismographe, on peut désigner un point fixe à une certaine distance au-dessus de la terre, pour faire sentir son mouvement à l'intérieur d'elle-même. Et voici un objet pour observer l'Étoile du Nord.
Ainsi on a donc une autre référence par rapport à la terre, c'est à dire à partir du point où elle tourne autour de son axe.
C'est assez étrange, bien sûr, l'infini d'une étoile. Mais du fait qu'on se trouve à une distance d'environ 5.300 Km de l'axe, on observe l'extrémité de cet axe. C'est une chose impossible, mais on le fait pourtant. Ce que j'aime dans ma création, c'est que je l'ai faite de sorte qu'en regardant avec deux lunettes, on se rend compte de sa propre symétrie. Celle-ci disparaît, car en utilisant deux lunettes, on perd ses yeux. Comme un cyclope.
On remarque une couture dans la longue vue. Et en utilisant deux longues-vues, on ne voit pourtant qu'une seule couture.

J'ai rêvé qu'à l'aide de ces deux lunettes astronomiques, je pourrais observer l'Étoile du Nord pendant le jour; c'est-à-dire éliminer entièrement le champ de dispersion. Puis, je regarde le ciel et j'aperçois une étoile. ‚a n'a pas marché, sans doute est-ce impossible. La longue vue doit peut-être avoir soixante mètres de long au lieu de six. D'autre part, en réalisant ce montage et en regardant l'Étoile du Nord, ce repère, ce diamètre, indique le nombre de degrés de latitude de l'endroit où tu te trouves.
Cette machine n'est pas faite pour être transportée, mais si tu pouvais l'emporter en Laponie, par exemple pour observer l'Étoile du Nord, tu pourrais lire la latitude de l'endroit où tu te trouves. Il suffît d'avoir un centimètre et un fil à plomb.
Le nombre de centimètres mesurés est égal au nombre de degrés de latitude. Je ne pourrais pas te dire pourquoi c'est une chose utile et formidable, mais personnellement je trouve ça fantastique.
On pourrait dire également que cette machine devrait avoir une longueur de 32 mètres, mais il faudrait encore que ce soit réalisable. Cette possibilité de réalisation est née d'une motivation secondaire: le nombre de degrés de latitude est égal au nombre de centimètres. D'abord naît l'idée: je regarde à travers une longue vue. Puis j'ai une autre idée: je regarde l'Étoile du Nord ce qui est une autre référence que le miroir qui, lui, regarde le froid. L'Étoile du Nord est également froide, bien sûr, mais elle est très différente: un très ancien repère d'orientation.

Ainsi, on réunit les objets: le miroir, le sismographe, ce montage et la longue-vue pour l'observation des Perséides, qui n'est, en réalité, qu'une référence de réflexion. Mais pas cette machine, qui a aussi une valeur de pénétration: je veux savoir où je suis.
Je veux regarder l'Étoile du Nord. On n'oublie rien. La longue-vue pour voir les Perséides suggère à l'observateur les pensées d'un homme qui entend prononcer le terme 'longue-vue' pour Perséides', qui pense à une lunette astronomique. Il n'y a cependant aucun objectif. Il suffît de se coucher sur le dos et de regarder le ciel. Tu es toi-même la longue-vue: l'appareil ressemble à un être humain.
LE SISMOGRAPHE
Le sismographe, 1982
fer, câble acier
315 x 336 x 180 cm
Voici un sismographe qui peut enregistrer les secousses telluriques de la terre. Nous ne sommes pas conscients nousÂ-mêmes de la nature des secousses de la terre. Nous ne réalisons pas qu'elle est sphérique, qu'elle représente un système ressemblant à une sorte de pudding vibrant doucement.
Nous avons les pieds bien sur terre, mais cette terre bouge, même si elle ne bouge pas beaucoup. Ce qui est amusant chez le sismographe c'est qu'on fait une révérence qui, en quelque sorte, s'accroche dans les nuages à un point qui ne fait pas partie de la terre. Je vais te montrer comment. Avant que je sois cette terre terrible, fais bien attention à ce poids (bruit). Tu vois ce qui se passe? En principe ça ne bouge pas. Là-bas elle a enregistré des oscillations de 10 cm, mais là-bas elle n'a pratiquement pas bougé. Ce n'est donc pas comme ça que la terre bouge, elle vibre périodiquement toutes les huit secondes environ. La sensation que j'éprouve alors, les pieds sur cette terre qui bouge, est vraiment formidable et j'espère que chaque spectateur ressentira la même chose en regardant cette machine, s'il s'y intéresse réellement.
Il y a quelques années, j'ai fabriqué une bombe atomique. Personne ne me croit, mais c'était pourtant une vraie bombe. Lorsqu'on a une bombe atomique, il faut également disposer d'un instrument pour enregistrer les essais nucléaires souterrains de l'ennemi. Il faut donc un sismographe.

A mon avis, la qualité de la fabrication de cette machine-ci est supérieure à celle de la roue. Car le genre de problèmes que j'ai à résoudre doit l'être dans son entier. On ne rencontre pas tous les jours un sismographe. Je n'en ai jamais vu moi-même, ne serait-Âce que sur une photo. Pour la fabrication, je me suis bien basé sur le schéma de fonctionnement d'un sismographe. Un petit schéma, très élémentaire, tel qu'on le voit dans une encyclopédie. Ce qui m'amuse, c'est que l'apparence officielle d'un sismographe est très différente de ma création. Le sismographe officiel ne ressemble pas du tout au mien, il est beaucoup plus ingénieux, bien sûr.J'ai voulu trouver ma propre solution.

Dans ce sens, il s'agit tout simplement d'un élément de mes recherches, de ma propre découverte de l'apparence des choses. Ou de mon opinion sur l'apparence des choses. Il existe aussi, bien entendu, une relation avec ce miroir, un élément très important. C'est-à-dire un point de suspension qui n'existe pas et qui se trouve à 200 ou 300 mètres au-dessus de la surface de la terre: une position tout à fait imaginaire. Dans le cas de ce miroir, ce point est encore beaucoup plus éloigné. Dans ce sens, il existe donc une relation entre ces machines.
UNE NOUVELLE POSSIBILITÉ POUR LA JOIE DE PAPIN
Une nouvelle possibilité pour la joie de Papin, 1981
métal, marbre, terre, pot de compression
210 x 150 x 100 cm


Cette oeuvre a été exposée pour la première fois à la 'Documenta 7' de Kassel (1982).
Il s'agit de l'appareil soulevant la plaque de granit et le sable. Papin était un élève de Huygens; il fut le premier à faire la démonstration d'un cylindre à vapeur devant le landgrave de Kassel. Ce fait historique se confond avec un événement dans la vie de Gerrit van Bakel lui-même: son père est mort juste après la guerre, en démontant un canon. Le cylindre à vapeur soulève le sable provenant de l'endroit où le père de Gerrit van Bakel est mort. 'La mort de mon père a marqué ma vie', dit-il.

Entretien entre Rommert Boonstra et Gerrit van Bakel, Elseviers Magazine, 19 juin 1982, p. 79
CORRECTION POUR MARCEL DUCHAMP
Correction pour Marcel Duchamp
métal
103 x 64 x 63,5 cm
Plaque de métal sur laquelle est soudée une barre de métal avec goupille. Elle supporte une bande de fer perforée à distance régulière. Une roue de bicyclette est montée à l'extrémité de la bande. La roue, en tournant, entraîne la bande autour de la goupille.
LA FORME D'UNE HORREUR (La bombe atomique)
La forme d'une horreur, 1980/82
fer, bois
300 x 100 x 750 cm


'Le plus horrible de la bombe atomique n'est pas tellement qu'elle éclate, mais surtout qu'elle provoque des dommages génétiques qui sont invisibles. Ainsi l'homme peut être manipulé. Il devient rigide dans son agression organisée. La bombe atomique est un péché envers tous les nobles buts de la création. L'artiste qui se lance dans ce genre de sujet devient extrêmement vulnérable. J'avais une amie qui me disait: Si tu fais cette machine, je ne veux plus te voir'.

Entretien entre Gerrit van Bakel et Rommert Boonstra, Elseviers Magazine, 19 juin 1982, p. 79
'MOYEN' PORTEUR DE PROBLÈMES
'Moyen' porteur de problèmes, 1984
fer, câbles d'acier
133 x 630 x 216 cm


Je n'ai pas grand chose à dire sur cette machine, ou justement beaucoup, au contraire. Rien n'y fonctionne, seulement l'image; le réglage apparent, toutes les vis, tous les axes filetés visibles ... indiquent que la machine est réglable. Voilà tout, c'est de la forme pure. En fait, cette machine est dérivée de la Roue ainsi que de l'Utah-Tarim connection. Il s'agit cependant d'un autre aspect de cette connection, plutôt un aspect spirituel que matériel. Tout comme le sismographe. Celui-là n'est que fonction, il réfère encore à une certaine conscience, alors que cette machine-ci n'a aucune fonction. Sa seule fonction est d'exister.

Elle est tendue comme un arc d'après moi, un arc tendu à une valeur symbolique multiforme. C'est l'arme, ou la tension de l'être humain, mais aussi la tension d'une culture progressive.

Mes voitures - et tout ce qui a des roues - sont également des voitures transportant cette idée. Du fait qu'elles sont très lentes, ou qu'elles ont un contenu très étrange, ou qu'elles ne peuvent pas avancer du tout, elles transportent des idées. Cette machine m'a hanté pendant longtemps. Elle apparaissait chaque jour dans mon carnet de croquis. Elle doit absolument exister, c'est tout. Parce qu'elle transporte cette chose: sa présence.
Voilà son potentiel, c'est fou ce qu'on peut se défouler dans une telle machine. ~e titre exprime bien sa fonction: c'est un Porteur de Problèmes de Taille Moyenne.

Bien que son apparence soit problématique, mais du fait que toutes les pentes sont réglables, on peut toujours l'adapter à l'espace qui l'entoure. De ce point de vue, c'est une machine esthétique, encore que l'esthétique soit hyperflexible. Car une pente, quelque chose d'angulaire, ça représente vraiment beaucoup de forme, car notre mode de vie est angulaire. Il est parfaitement illogique de monter ces roues en quinconce, mais c'est très beau.

Dans un certain sens, c'est également une arme, car un arc est aussi une arme. Quel genre de flèche faut-il utiliser' On ne tire que vers le bas. Que peut-on tuer avec cet arc, sinon des taupes!

J' aime bien cette oeuvre et j'aime aussi son titre. Il s'agit aussi d'un objet phallique, érotique: une référence. Aussi mou que l'intérieur de l'érotique et très flexible. Quand on n'est pas flexible, on finit en prison pour cause de viol, pas vrai? C'est une véritable machine d'adaptation.
SUR L'ORIGINE DU FRUIT DIVIN (DE LA PIÉTÉ)
Voici la voiture aux oeufs. Au fond, ce n'est pas une voiture aux oeufs, mais je l'appelle ainsi parce que j'y ai accroché des oeufs. Son véritable nom est: 'Sur l'Origine de la Foi'. Je ne peux pas t'expliquer, tout ce que je peux te dire, c'est que la mécanique suggère que la machine avance, alors qu'elle ne peut avancer. Elle peut bouger selon les règles de la mécanique. C'est un objet mécanique avec roues, mais qui n'avance pas. Et je l'ai fabriqué parce que je me sers souvent de métaux.

Je me suis penché sur l'histoire des métaux, ça me fascine. On ne trouve pas de métal simplement au bord de la route. On y trouve bien du bois, de la paille, des branches ... Mais le métal, il faut le chercher, c'est une chose à part. Je m'imagine que, dans un lointain passé, l'homme qui a découvert le métal devait être un peu magicien. J'utilise du fer, mais surtout du bois.
J'ai découvert que les rapports qu'on a vis-à-vis des matériaux sont proportionnellement opposés à leur action. L'intérêt pour le bois doit être froid, il n'a pas besoin d'être très subtil.
Mais l'intérêt qu'on apporte au fer doit être très délicat. Ce n'est pas une question de précision, mais lorsqu'on travaille le fer et qu'on fait une soudure, tout change et tout bouge de tous les côtés. Alors que, si tu veux avoir un bloc de bois, il suffit de le tailler et de taper dessus, ça suffit. Pour lé métal il faut une imagination et une affinité chaleureuse; le forgeron qui travaille le métal est, évidemment, en étroite relation avec la chaleur, mais il doit également éprouver un sentiment chaleureux envers le matériau. S'il ne sent pas exactement l'endroit où il doit taper avec son marteau, il ne fera pas du bon travail.
Actuellement, nous disposons de métaux extrêmement sophistiqués. Il existe des milliers de fers différents, tous avec leurs propres caractéristiques répondant très exactement à nos besoins. Il n'y a plus de problèmes.
La métallurgie fait d'énormes progrès dont personne ne se rend bien compte. Elle est encore bien plus sophistiquée que la médecine ou que les autres sciences. Je crois que l'homme a enregistré ses plus grands progrès dans la maîtrise des métaux. C'est d'une subtilité fantastique. Eh bien, cette voiture est composée d'un certain nombre d'éléments, de barres, de disques et de petits blocs de bois. En réalité, l'histoire des composantes n'a pas beaucoup d'importance. Ce qui est important, c'est que les corn posantes que tu vois là ont chacune une fonction très spécifique. Elles proviennent toutes de mondes très différents.

Il y a là cinq ou six corn posantes différentes en provenance de cinq ou six mondes différents, très sophistiqués. L'un de ceux-ci est le monde où l'on moud la farine. C'est comme ça, tu ne peux pas le voir, mais je sais que c'est la vérité. Et en passant par l'exorcisme de l'absorption de pain, en passant par le métal, ce qu'on faisait autrefois avec des pierres, j'arrive chez le forgeron. Je me souviens que tous les forgerons que j'ai connus étaient des hommes très doux. Tous, sans exception, avec un besoin de délicatesse même en dehors de leur travail à la forge.
C'est quelqu'un, un forgeron. Je ne suis pas forgeron moi-même, je ne pourrais jamais le devenir.Je n'ai pas les qualités requises.

Cette voiture a été motivée parce que j'ai voulu rendre hommage à tous ces forgerons grâce auxquels ce fer est présent ici.
En même temps, je me rends compte que, dans un lointain passé, la magie et la soudure des métaux ont eu un lien commun, comme un sacerdoce, et c'est ainsi que la pensée fait un bond en direction de ces oeufs. Les oeufs impliquent une référence à l'origine, au fruit. C'est-à-dire à l'élément divin du forgeron et aux oeufs qui représentent des éléments de la nature.
D'une perfection très poussée, ce qui, à mon avis, est inévitable. Un oeuf et une petite barre de fer sont équivalents. Dès qu'on les prend dans la main, on vit un moment divin. Je trouve donc qu'il s'agit, en quelque sorte, d'un résumé de la religion. La Piété est le fruit du pouvoir humain d'abstraire, de se distancier.

Sur l'origine du fruit divin (de la Piété), 1982
fer, oeufs, coton
134 x 57 x 54 cm
PETITS CHARIOTS DU MONDE
Petits chariots du monde, 1982/84
fer, cuivre, bronze, laiton, aluminium contenu = terre natale
2,16 x 3,70 x 3,30 cm


Chariot 1 (fer) a été apporté en Bolivie en 1983 et déposé dans le mur du Temple Incallajta derrière une pierre.

Chariot II a été transporté à vélo en Grèce en 1984, a visité plusieurs îles, la Crète entre autres, a voyagé le long de l'Olympe jusqu'à Marathon et depuis a été emporté à pied à l'Acropole où il se trouve caché.
MACHINE PROVISOIRE D'ARC-EN-CIEL
Machine provisoire d'arc-en-ciel, 1980/81
fer, huile, tissu, bois, caoutchouc
300-700 (variable) x 240 x 240 cm


Cette machine réunit plusieurs courants de pensée et plusieurs expériences faites avec des machines à liquide antérieures. 'Provisoirement' car l'un des courants de pensée n'a pas encore atteint son objectif: la nouvelle théorie sur la couleur.